Portrait présumé d’Auguste Louis de Talleyrand, Jean-Baptiste Greuze, 18e siècle

On doit ce tableau monumental peint sous le Directoire à un très grand peintre en fin de carrière, Jean-Baptiste. Il reprend les codes du portrait du siècle qui s’achève alors tout en les mêlant d’une manière qui n’est pas sans évoquer le contexte révolutionnaire de 1792.

Un portrait entre fin de la monarchie et début de la république

Le modèle est représenté dans un cadre palatial conventionnel mais d’ordinaire plutôt réservé aux premiers personnages de l’Etat. Cette monumentalité offre un contraste fort avec la pose décontractée du jeune-homme : coude sur le dossier du fauteuil, jambes croisées, costume à la mode (anglaise), cheveux longs et libres. Faut-il y voir une appropriation par le simple citoyen du pouvoir de la monarchie agonisante ?

Les objets disséminés font plus classiquement référence à la culture savante : main gauche posée sur un socle portant une copie de statue antique, livres sur la table et plan roulé. Le sabre attaché au socle peut tout aussi bien évoquer une carrière militaire que le patriotisme d’un temps de guerre incertain (les guerres de la Révolution commencent en avril 1792).

Un mystérieux modèle

L’identité du modèle a suscité de nombreux questionnements. Peut-être s’agirait-il de Barbaroux, un avocat marseillais dont le sabre symboliserait le titre de secrétaire général de l’Armée de Marseille. Le nom de Talleyrand a été proposé, mais le modèle ne lui ressemble pas et paraît trop jeune pour avoir 38 ans, l’âge de Talleyrand en 1792. La proposition la plus convaincante serait Auguste-Louis de Talleyrand (1770-1832), le cousin germain de l’homme d’Etat, devenu chambellan de Napoléon puis ambassadeur en Suisse.

Quoi qu’il en soit, son caractère suscite des interprétations variées : sa pose très libre lui donne un côté jovial, tandis que son expression semble à certains plutôt hautaine ou mélancolique. Ces divergences tiennent en grande partie au fait que le modèle ait le visage de trois-quarts et regarde dans le lointain.

Un peintre talentueux oublié

Au cours de sa carrière, Greuze s’est avant tout fait connaître par ses scènes de genre laissant libre cours aux sentiments, avant de se tourner vers les portraits. Le format monumental choisi ici peut s’expliquer par le fait de vouloir conjurer sa frustration de ne pas avoir été reçu comme peintre d’histoire.

Si cet artiste eut un succès considérable au début de sa carrière, à l’époque de cette peinture, il était complètement passé de mode, enterré par le triomphe récent du néoclassicisme de Jacques-Louis David. On ne voit d’ailleurs ici aucune influence de ce dernier, mais une sorte de touche vaporeuse, qui n’est pas sans évoquer la peinture anglaise, ce que le costume ne fait qu’accentuer.